Le quotidien des homos reste un enfer
Phot crédit
Cacher sa sexualité au risque d’être insulté ou agressé. Dans certains quartiers, le quotidien des homos reste un enfer.
Quand il drague, il n’a plus d’identité. “Mojito” est un simple avatar, sans prénom ni visage. Il s’affiche sous ce pseudo, écrit en arabe, et en guise de “profil”, l’emoji d’un Black barbu, pioché dans une banque d’images lambda. Bienvenue sur Grindr, l’appli de rencontres pour homos cash et crue, où l’on peut aussi bien chercher l’âme soeur qu’un plan cul dans la demi-heure. Avec Mojito, point de “dick pic”, ces photos de sexe qui peuvent faire office de salutations. Il navigue incognito et propose rarement un cliché avant de rencontrer ses amants.
De lui, on sait très vite qu’il est “bi black actif BM”. Comprenez : “noir, bisexuel, actif et bien membré”. S’il est là, c’est “juste pour le sexe”. Il précise qu’il ne reçoit pas ses sex friends chez lui et qu’il n’est disponible que l’après-midi. Jamais au-delà. Passé une certaine heure, il rejoint son épouse dans le Val-de-Marne, et s’occupe de ses enfants dans une cité dont on taira le nom. Comme des milliers d’hommes, peut-être beaucoup plus, ce trentenaire cache sa double vie à tous ses proches. Jamais il n’oserait parler à visage découvert de cette attirance. Le tabou est trop fort. “La vie en cité, c’est comme la vie en famille. Être gay ou bi, c’est un drame.” Si ses aventures en ligne étaient découvertes, la conséquence pourrait être grave : “La mort”, glisse-t-il sans ironie.
“En Algérie, les mecs comme vous, on les égorge”
Le mot est fort, mais c’est celui qui hante Laurent depuis le 3 mars dernier. Avec son compagnon, il a essuyé une salve d’insultes d’une violence rare. Quartier Plaine-Gare, à Rueil-Malmaison, un coin populaire de la ville des Hauts-de-Seine, cerné par les barres HLM Charles-Gounod et Camille-Saint-Saëns. Pas le genre de cités où les voitures brûlent, certes, mais pas l’endroit le plus valorisé de Rueil.
La scène se déroule dans un Carrefour Market. Pour une banale histoire de priorité à la caisse, une jeune femme, accompagnée d’une enfant, déverse sur eux toute sa haine des homos : “pédés”, “tarlouzes”, “pédales”, “sales chbeb” (“enculés”), “une honte pour la France qui mérite de mourir”, “en Algérie, les mecs comme vous, on les égorge”, selon les propos rapportés par une des victimes.
Un chapelet injurieux que la jeune femme devra justifier le 23 avril devant le tribunal correctionnel de Nanterre. En attendant, les associations SOS et Stop homophobie se sont constituées partie civile et saluent le courage du couple ayant osé déposer plainte. Car ce témoignage, rare, fait office de défi au conservatisme qui règne dans les quartiers.
Dresser un état des lieux de l’homophobie dans ces territoires n’est pas chose aisée. Très peu d’études existent sur le sujet et les associations sont dans l’impossibilité méthodologique de la quantifier. “C’est compliqué de mesurer des choses à une fine échelle géographique”, relève le sociologue Colin Giraud, qui a travaillé sur la question des quartiers gays à Paris. Pour lui, le tableau est complexe. L’homophobie n’est bien sûr pas le monopole des cités. “Elle s’exprime aussi dans les beaux quartiers”, abonde Joël Deumier, président de SOS Homophobie, soucieux de ne pas réduire le problème à sa variante “banlieue”. “Certains individus, certaines familles sont homophobes. D’autres pas.”
“C’était ça ou le suicide”
Pourtant, le responsable associatif s’interroge. Certains travers sont-ils plus exacerbés dans les cités qu’ailleurs ? Il tente une analyse : “Dans certains territoires, l’homosexualité est encore un tabou. Par conséquent, le climat pour la vivre librement n’est pas favorable. Les victimes d’homophobie ne parlent pas autant que sur d’autres territoires. La parole n’est peut-être pas libérée.”
Ce n’est pas Brahim Naït-Balk qui le contredira. Il y a une dizaine d’années, ce musulman aujourd’hui quinqua publiait Un homo dans la cité (Calmann-Lévy), où il dénonçait l’enfer qu’il a vécu à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Agressé, violé, humilié, il a longtemps tu son mal-être avant de tout balancer. “C’était ça ou le suicide.” Aujourd’hui, rien n’a vraiment changé, selon lui. La cité, parfois otage des codes des caïds, reste le lieu où s’exprime la ‘virilité’. “L’homo, ce n’est pas le leader, c’est le faible.” Après la sortie de son livre, il a reçu de nombreux témoignages d’hommes se reconnaissant dans son combat, vivant leurs relations dans la clandestinité, mais qui n’auront jamais le courage de faire leur coming out.
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